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Quand Nicolas Sarkozy parle

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Dans un régime politique où le pouvoir exécutif est nettement dominé par une seule figure politique, celle du président ou du premier ministre, tout ce qui touche au chef de l’État fait l’objet de très nombreux commentaires. Le “style présidentiel” est une notion qui revient très souvent dans les médias, mais aussi dans les opinions politiques : on apprécie, ou pas, le style de tel candidat à l’élection présidentielle, ou de tel président.

En France, le président de la République est au centre d’interrogations permanentes quant à sa manière de communiquer, sa manière de gouverner, mais aussi sa santé, ses humeurs, sa vie privée (ce qui rappelle de près ou de loin les régimes monarchiques et les interrogations de la cour ; l’ouvrage de Marc Abélès, Anthropologie de l’État, le montre très bien à partir d’une étude de gestes symboliques accomplis par François Mitterrand). Aux États-Unis, où l’histoire du pays ne contient pas de période monarchique ou impériale, la focalisation sur la personne du président est tout aussi visible.

Comment la science politique peut-elle saisir la réalité sous-jacente à ce que l’on désigne lorsque l’on évoque le “style” du président ? C’est une question très sérieuse dans la science politique américaine, où beaucoup de travaux (voire des revues) portent sur la personnalité présidentielle, dans la suite des travaux de Richard Neustadt dans les années 1960. Des recherches (de Fred Greenstein, Stephen Skowronek, Adam Sheingate et d’autres) ont depuis montré que ce regard ne permet pas de comprendre l’histoire des décisions publiques – le rôle du Congrès et celui de la Cour Suprême sont trop prégnants, et une combinaison des analyses de la personnalité présidentielle et des institutions politiques donne de meilleurs résultats.

En France, Nicolas Mariot et d’autres ont étudié la fonction présidentielle et les manières de l’habiter. Nicolas Mariot a notamment retracé l’utilisation d’un outil : le voyage présidentiel. Récemment, Paul Bacot a publié une petite note pour la revue qu’il dirige, Mots. Les langages du politique. Cette note de trois pages analyse la prise de parole de Nicolas Sarkozy pendant l’émission-fleuve où celui-ci s’est exprimé au sujet de la crise financière. Les intervieweurs principaux étaient David Pujadas et Laurence Ferrari.

Que remarque Paul Bacot ? Que les intervieweurs ne sont pas traités de manière identiques : Nicolas Sarkozy a en face de lui “Monsieur Pujadas” et “Laurence Ferrari”. Nicolas Sarkozy donne aussi du “Monsieur” deux autres journalistes masculins qui interviendront plus tard en cours d’émission, creusant l’écart de traitement entre Laurence Ferrari et ses collègues. La distinction, note Paul Bacot, est importante :

En les appelant différemment, notamment quand il s’adresse à eux, il leur assigne une identité de genre.

Dès lors, on pourrait se demander s’il s’adresse de façon aléatoire à l’un et à l’autre durant sa prestation, ou bien s’il choisit son interlocuteur en fonction de ce dont il traite. Une telle attribution de rôles distincts pourrait être mise en relation avec le fait que Nicolas Sarkozy ne leur parle pas de la même façon – mais sans que cela puisse en quoi que ce soit expliquer le choix de chacune des deux modalités d’adresse1.

L’auteur fait attention à ne pas imputer ces adresses différentes à un autre facteur que le président de la République lui-même2.

Paul Bacot, comme Nicolas Mariot, procèdent à des objectivations de données extraites du monde réel, et sur lesquelles ils opèrent des calculs, des visualisations (les cartes chez Nicolas Mariot), et des interprétations. Leurs données forment des séries : statistiques, géographiques, historiques. Il est possible d’arriver à des conclusions significatives sur le plan scientifique, même lorsque l’on part de données très peu tangibles3, et déjà investies par les intellectuels (les “préposés aux choses vagues”, disait Paul Valéry) ou les journalistes. Il faut être assez prudent, mais les exemples ci-dessus montrent que, lorsque Nicolas Sarkozy parle, les scientifiques écoutent… mais pas de n’importe quelle manière.

À consulter

  1. Mon emphase.
  2. Ce faisant, Paul Bacot “contrôle” son observation, ce que les scientifiques font tout le temps, les journalistes presque jamais – en général, l’information journalistique est simplement recoupée : deux avis convergents et l’appréciation du journaliste suffisent (je caricature sans volonté de provocation ; quoique…). Le contrôle est un aspect essentiel de l’analyse scientifique. Ce matin, un journaliste de France Info annonçait que les fraudes à la Sécurité sociale était en forte hausse, or la suite de son reportage montrait simplement que la traque des fraudeurs était le seul facteur à avoir varié (en hausse), ce qui ne permet pas de conclure que les fraudes augmentent ; simplement, quand on les “cherche” mieux, on les “voit” mieux. Le même biais statistique (ignorance du base rate) peut expliquer la recrudescence des incivilités (augmentation du dépôt de plainte), des vols de téléphone portable (augmentation du nombre absolu de portables), ou des cancers (dépistage plus efficace).
  3. Betrand Russell a écrit quelque part (j’ai perdu la référence) que, pour un scientifique, partir d’une question claire était nécessaire mais généralement impossible d’entrée de jeu, et que la construction d’une question précise était un résultat du travail scientifique.

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